Monday, September 29, 2008

Parenthèse




Ce livre est une curiosité assez intéressante. Peut-être pas en soi-même : je suis tombé dessus en cherchant des ouvrages sur la modernité et la culture à la bibliothèque et l’ai pris sans du tout me rendre compte de ce dont il s’agit. C’est l’œuvre suprême, écrite dans un style « teutonique » (à mi-chemin entre la prose de Hitler dans Mein Kampf et celle d’Oswald Spengler, dont l’auteur, Francis Parker Yockey, alias Ulrik Varange, se réclame, assez à tort d’ailleurs) d’un philosophe américain qu’on pourrait qualifier – oui, c’est très bizarre vu de nos jours – de « national-bolchévique », à la manière dont Hitler se qualifiait de « national-socialiste ». L’ouvrage est dédié au « héros de la Seconde guerre mondiale » (Hitler, pour ne pas le nommer) et se présente comme « différent de tous les autres livres » et un « tournant majeur dans l’histoire de l’Europe ». Le but de l’ouvrage est de fournir une bible pour le projet d’une union européenne basée sur la race. La thèse de Yockey, c’est qu’en 1933, une double révolution politique est survenue : la prise de pouvoir par les Nazis, première étape vers la création de « l’Europe » (considérée comme un habitat racial) et la prise de pouvoir par les sionistes à travers Franklin Delano Roosevelt, aux Etats-Unis. La Seconde Guerre mondiale s’est conclue par la défaite de « l’Europe » et par l’imposition, sur le monde, de l’hégémonie judéo-américaine. La tâche est donc de reprendre la lutte, et de libérer enfin « l’Europe » (Il y a eu un Front de Libération de l’Europe auquel Yockey était affilié). Séduit par l’antisémitisme des Soviétiques et l’antisionisme du nationalisme arabe, Yockey s’est ensuite mis au service de ces causes, avant de se suicider au cyanure (à la manière des « leaders européens », c’est-à-dire des dignitaires nazis, à Nuremberg) dans sa prison de San Francisco en 1960 (il s’y trouvait pour usage de passeports falsifiés). Le livre est furieusement anti-national. La nation moderne, définie par la loi de l’Etat, est qualifiée par Yockey d’idée morte, d’entrave au développement de la « Culture européenne », une entrave fondée sur le légalisme, le matérialisme et le rationalisme, toutes forces desséchantes et décadentes, si mortifèrement accueillantes aux influences pathologiques, comme le montre le cas paradigmatique des Etats-Unis, pays infesté par le « parasitisme » des « Africains » et les « distorsions » des « Juifs. » (Ces mots ont reçu une définition assez originale de Yockey. Par exemple, selon lui les « Africains » n’étaient pas des parasites au sens commun de ce mot, puisqu’ils avaient eu, en tant qu’esclaves, une utilité économique majeure, mais ils sont devenus, une fois libérés de ce sort qui leur convenait parfaitement, des « parasites culturels »). C’est l’occasion de préciser que l’idée moderne de nation a une sorte de parèdre mystérieux, que l’on appelle diversement « la race », « l’ethnie », « la tribu ». D’ordinaire, « l’ethnie » et « la tribu » sont considérées comme des entités réelles, mais « prémodernes », tandis que « la race » est considérée comme un fantasme moderne – quelque chose de plus fantasmatique et de moins respectable que « la nation ». Toutes relèvent de ce que l’anthropologue Clifford Geertz a fameusement appelé « les identités primordiales. » Geertz – commettant le péché anthropologique d’une vision du monde Occident sociologique/Reste du monde anthropologique – usait de cette formule surtout dans le cas des sociétés non-occidentales. Mais dans le rejet de Yockey et de ses coreligionnaires de la nation moderne, on voit bien que « la race » est une identification primordiale, et on voit aussi que, si elle est un fantasme, les autres identifications primordiales le sont tout autant. La race, l’ethnie, la tribu, revendiquent toutes d’être des qualités originaires, foncières, par rapport à la nation qui n’est qu’une construction légale et politique. Mais ce qu’elles ont vraiment de commun, au-delà de ce caractère primordial, c’est l’idée de pureté culturelle et même biologique. En ce sens, aucune d’entre elles n’est « prémoderne ». Les Zoulous du XVI° siècle n’excipaient pas d’une pureté culturelle et biologique : ils le pouvaient d’autant moins qu’ils n’existaient pas avant le Mfecane de Chaka. Les Zoulous ne sont pas une « ethnie » ou une « tribu » primordiale, mais bien une construction politique du Mfecane de Chaka, en somme, une nation. Et il en est de même des « ethnies » qui sont plus anciennes que les Zoulous. Je ne suis pas sûr qu’il y avait des Songhay au X° siècle – et s’il y en avait, ils étaient, à n’en pas douter, sensiblement différents de ce qu’ils sont devenus après leur phase impérialiste. L’ethnie pure est donc une idée moderne et politique. Et de même la religion pure, que les islamistes, d’accord en cela avec Huntington, opposent aujourd’hui à « l’Occident », version fin-de-siècle de « l’Europe » de Yockey.


On voit par là que si l’on peut trouver l’idée de nation ridicule, elle est tout de même plus raisonnable que la plupart des idées alternatives. Pourquoi nécessairement? C'est simple: essayons de nous représenter ce que serait la vie dans un monde purement "blanc", ou purement "zoulou", ou purement "islamique". Qu'aurait-on gagner à avoir réalisé un tel univers? A quel bonheur inconcevable, à quelle ambroisie pensaient les génocidaires Hutus? Dans l'un des épisodes des Boondocks "anime", Aaron McGrudder montre le rêve de Uncle Ruckus, arrivant à White Paradise, le "Paradis blanc", aux portes duquel il trouve Ronald Reagan, qui lui fait visiter les lieux. Uncle Ruckus est l'archétype du "Noir honteux", haïssant sa propre "négritude" (il lui arrive de se prétendre "blanc", mais victime d'une pathologie qui serait "l'inverse de ce qui est arrivé à Michael Jackson"). Reagan lui explique que Dieu n'a en fait aucun problème avec le racisme, et que le Paradis blanc "there is no hip hop music, and no fucking Jessie Jackson". Uncle Ruckus d'interjéter: "What about Whoopi Goldberg?" Reagan:"Nope". Uncle Rukcus: "Haaah, this is heaven..." Je crois que le rêve de Yockey, dans sa réalité concrète, n'irait pas au-delà de cette blague. On peut en dire autant des autres.


On peut jeter un cil (et plus si l’on y tient) à la prose de Yockey, ici (anglais).


Sunday, September 28, 2008

Etat: Sect. 1, suite...


J’avais donc du mal à être « nigérien », ou pour mieux dire, à être « national. » Dans les groupes de Nigériens, je me moquais volontiers du concept d’identité nationale, si bien qu’un jour, je m’attirais de la part d’un esprit logique (ô combien, on le verra tout à l’heure) l’interrogation suivante : « Est-ce que cela veut dire que si nous sommes en guerre, tu ne t’engageras pas dans l’armée ? » « Certainement pas ! » fis-je, par manière de plaisanterie, « je protégerai vos arrières ! » Mais cette réponse n’arracha pas un sourire à mon interlocuteur. Elle était sérieuse. Elle posait un problème. C’est peut-être à cette époque que je notais dans un de mes carnets ceci : « A quoi sert la nation ? Je veux dire, à quoi sert l’idée d’aimer un certain groupe de gens à l’exclusion de tout autre, et par suite l’idée de se sacrifier à ce groupe de gens, notamment en immolant toute personne exclue de ce groupe qui serait désignée par l’Etat ? Est-ce que j’aime les Nigériens au point de tuer des Maliens pour eux ? Et en quoi cet amour est-il utile ? La nation est utile à l’Etat. » En gros, ce que je voulais dire je suppose, c’est que la nation est comme l’armée de l’Etat, du moins potentiellement. L’armée réelle exige l’esprit de discipline et de camaraderie, et la nation exige qu’on abdique en un sens son sens critique pour obéir aux lois de l’Etat et avoir l’esprit patriote, une sorte d’amour vague et inconditionnel pour ses compatriotes. Mais je voyais bien que, comme la monnaie, l’amour patriotique est chose fiduciaire. Il n’a de valeur qu’autant qu’on est amené ou contraint de croire qu’il en a. Néanmoins, il ne pouvait pas être né du néant : tout comme la monnaie, encore une fois, il a dû répondre à un besoin naturel quelconque. Il est vrai que nous naissons (la racine du mot « nation » est « nati », qui veut dire « né » en latin) dépendant d’un groupe défini, au-delà même de la famille natale : le village, et l’ensemble plus large auquel, possiblément, il est intégré. Mais en quoi cela mène-t-il à la nation, telle qu’elle existe aujourd’hui sur le théâtre du monde ? Aucune réponse ne me semblait raisonnable, simplement parce que je voyais bien que l’Etat (je ne l’ai pas encore défini, et ne le ferai pas avant le dernier paragraphe de cette entrée-essai) était lié à la nation. La formule « Etat-nation » me paraissait tout à fait adéquate, descriptivement. Si l’Etat du Niger ne s’en était pas mêlé, il n’y a aucune chance que je me fusse senti tenu d’acquiescer au qualificatif de « Nigérien ». Mais comment comprendre ce trait d’union entre l’Etat et la nation ?

Une autre manière, plus pragmatique, d’aborder ce problème précis est le suivant : ce trait d’union a-t-il toujours existé ?

Aujourd’hui, on aurait beau cherché, il n’y a nulle part où on peut voir autre chose que des Etats-nation établis ou aspirant à être établis. On peut discuter à perte de vue sur la solidité, la légitimité, la réalité de ces Etats-nation : il n’en reste pas moins qu’ils sont là, tous exhibant uniformément les mêmes éléments distinctifs : territoire national, capitale nationale, drapeau national, monnaie nationale, langue officielle nationale, hymne national, etc. On ne peut point aller d’ici à là sans se munir de papiers nationaux, estampillés de drapeaux, d’armoiries et autres affiquets. Certaines portions du globe sont virtuellement interdites d’accès, suivant qu’on est de telle ou telle nationalité. Passant d’un territoire national à l’autre on s’attend presque à découvrir une autre humanité, et c’est bien souvent le cas. Cette notation que j’ai faite cet été, lors d’un voyage au Burkina Faso, en dit long à ce sujet, aussi ridicule que sa cause puisse paraître : « Curieux comme, passant de pays à pays, les gens supposent que la réalité change. Cette Nigérienne, voyant des jeunes gens « tirer » le thé dans une rue de Ouagadougou, s’exclame : « Comment ! Ils font le thé ici aussi ! » Cette dame, mi-Burkinabé, mi-Nigérienne pourtant, commente ainsi sur une petite scène d’accident à Ouagadougou – une automobile a écrasé le pneu arrière d’un vélo conduit par une femme, l’automobile se gare pour la suite à donner à l’événement : « Ici au moins ils connaissent leurs droits ! Personne ne se laisse écraser ! » Il y en a, peut-être, qui s’attendent à ce que le climat et la végétation changent du tout au tout dès qu’on traverse une frontière et qui s’étonnent de voir, de part et d’autre, les mêmes chèvres vagabondes et le même plumage aux poules. Les Etats, certes, produisent une réalité objective, qui donne à chaque pays une certaine ambiance spécifique, et il en est ainsi même de ceux que les politologues appellent « weak states », et qui prédominent en Afrique. Mais les gens ne se rendent pas compte que tel est le cas uniquement dans une certaine mesure et suivant des modalités limitées. »

Bien entendu, j’eus tôt fait de me rendre compte que la nationalité nigérienne est l’une des versions les moins reluisantes de la chose, mais on ne s’en sent pas moins rassuré de la posséder, et en cela bien supérieur à ceux qui, comme les Palestiniens, sont encore empêchés d’établir la leur à la face du monde, et d’émettre des visas, des passeports, des règlements et autres manifestations de l’ordre national.

Mais il n’en a pas toujours été ainsi, bien entendu. Parcourant l’histoire, il suffit d’aller au-delà du dix-huitième siècle pour découvrir une autre réalité, s’agissant de l’Europe occidentale, et s’agissant de certaines parties du reste du monde, ce qu’il faut bien appeler l’hégémonie de « la forme Etat-nation » ne s’était pas encore enracinée au début du vingtième siècle. Cette hégémonie n’a pris son caractère de monotonie que fort récemment, il n’y a pas plus de cinquante ans en fait. Il faut voir que si j’étais né vers 1940, je n’aurais pas eu d’identité nationale : j’aurais été un sujet de l’Empire français, statut devenu inconcevable aujourd’hui, mais dans lequel mes deux parents sont nés et ont passé une bonne partie de leur enfance et (en ce qui concerne mon père du moins) de leur adolescence. Les formes qui existaient auparavant n’étaient pas hégémoniques sur la surface du globe, et il n’est pas dit que l’Etat-nation le restera éternellement. Mais son succès, me semblait-il, tenait au succès d’autre chose, d’une chose qui serait comme une civilisation, et dans laquelle l’essence du trait d’union entre « Etat » et « nation » se trouve contenue : la modernité, le modernisme.

Pour comprendre cela, je propose d’en revenir à la remarque de mon compatriote sur la guerre et à ma conclusion selon laquelle « la nation est l’armée de l’Etat. » Au bout de plusieurs années où j’ai senti d’autres choses et fait d’autres réflexions, elle ne me paraît plus tout à fait exacte, mais elle n’est pas fausse non plus. J’ai essayé de la comprendre en examinant les conditions du dix-huitième siècle où l’idée de « modernité politique », et finalement de « nation » au sens moderne, est progressivement apparue. Une première remarque s’est aussitôt imposée à moi (cette recherche a commencé au moment – 1997-1998 – où je travaillais sur mon mémoire de philosophie, qui a étudié l’analyse que Rousseau fait de la civilisation politique de l’Europe de son temps, d’un point de vue géographique, largo sensu), c’est que l’Europe du dix-huitième siècle était intégrée dans une sorte de méridien politique qui va, d’ouest en est, des Iles britanniques à la Perse, et qui se livrait une sorte de guerre perpétuelle, entrecoupée de traités et de trêves, depuis la chute de l’Empire romain. Cette guerre perpétuelle avait connu plusieurs phases, et au dix-huitième siècle, elle se trouvait dans une phase inédite, terminale, qui allait en transformer profondément le contexte à travers l’avènement de la culture moderne. Les entités qui se livraient ces guerres étaient bien des Etats, mais ils n’étaient pas des Etats-nation, encore au dix-huitième siècle. Ils étaient fondés sur des liens de loyauté personnelle et/ou collective entre les individus et une dynastie souveraine. En théorie d’ailleurs, de tels liens continuent d’exister dans les Etats-nation dotés d’une monarchie, parallèlement au lien le plus valide actuellement, le lien national. Dans certains cas, ces liens ne semblent exister que dans des formalités désuètes et prestigieuses, mais dans d’autres, ils tissent une trame plus vivace, créant des problèmes particuliers, mal compris à la seule lumière de la théorie moderne. Je lisais, avant-hier soir, dans les archives du Times Literary Supplement, l’acte d’accusation (haute trahison) contre Roger Casement, en 1916, indiquant qu’il avait (je traduis) « illégalement, malicieusement et traîtreusement commis une haute trahison en dehors du domaine d’Angleterre et au mépris de notre Souverain Seigneur le Roi et de ses lois… » – en un temps de guerre nationale entre l’Angleterre et l’Allemagne (Casement était allé en Allemagne chercher des armes pour contribuer à un soulèvement national des Irlandais contre « la pute et la catin de la mer du Nord » comme il appelait aimablement l’Angleterre) au cours de laquelle le « Souverain Seigneur » avait été contraint de changer son nom dynastique de Saxe-Cobourg et Gotha, par trop allemand, en celui de Windsor, si nationalement anglais. En Arabie saoudite – le nom même de cet Etat rappelle qu’il est constitutionnellement plus proche de l’ancien Etat dynastique jadis hégémonique dans le monde arabo-musulman que du moderne Etat-nation – on peut rencontrer, dans la région de Jeddah des gens qui, par fidélité au régime hachémite de sunnisme accommodant qui prévalait avant le triomphe de la famille saoudite, récusent le nom de « Saoudien » et tout ce qui va avec. « Saoudien », de fait, sonne plutôt comme un nom clanique et dynastique que comme un nom national. Même dans les cas du Niger et du Mali, par rapport à leurs populations touarègues, on retrouve cette survivance de l’Etat dynastique. L’Arabie saoudite est fondée sur un pacte des chefs claniques arabes avec la famille Saoud, par quoi la première contrôlerait et exploiterait le territoire de l’Arabie, en prenant soin, cependant, de redistribuer les revenus de cette exploitation aux chefs de clan qui, de leur côté, doivent en faire bénéficier leurs clans. Ce mode d’organisation d’Etat dynastique fondé sur la solidarité clanique existe aussi chez les Touareg – qui sont nos Bédouins – mais non chez les Noirs du Sud, et par conséquent les rébellions des Touareg contre les Etats du Niger et du Mali tendent à imposer ce mode de fonctionnement assez exotique pour eux à ces Etats : lors des règlements des rébellions des années 1990, par exemple, les Etats du Niger et du Mali avaient accordé aux chefs des mouvements rebelles (qui étaient en tout état de cause des clans armés) des prébendes sous forme de positions salariées diverses : le langage des chefs Touareg – qui considéraient ces prébendes comme des privilèges perpétuels et transmissibles, et non comme des positions de service public – montra bien la logique dans laquelle ils se trouvaient, logique dont les Etats du Niger et du Mali, prétendant à la modernité, ne pouvaient s’accommoder, ce qui rejeta les Touareg dans les bras de Kadaffi, qui se comporte exactement, à leur égard, comme un roi dynastique de style arabo-berbère.

Dans le méridien politique eurasiatique dont j’ai tout à l’heure commencé la description, il n’y avait que des Etats dynastiques, mais tous, ou à peu près (l’exception était la Perse) étaient entrés dans un processus de transformation que, rétrospectivement, l’on qualifierait aujourd’hui de « modernisation ». (La Perse, comme son voisin oriental, l’Empire moghol, était entrée dans une phase de crise de succession dynastique, qui sera fatale à l’Empire moghol, étant donné l’irruption subséquente dans la péninsule indienne, des puissances modernisantes française et anglaise, mais dont la Perse, quant à elle, émergera sous la conduite des Qadjars, remplaçant les Safavides). Ce processus était commandé essentiellement par un état de guerre pur, par quoi je veux indiquer que durant cette période spécifique, l’idéologie avait disparu de la guerre perpétuelle. Jusqu’alors, elle l’avait hantée sous la forme de grandes oppositions intra ou inter-confessionnelles : sunnisme contre chi’isme, catholicisme contre protestantisme, christianisme contre Islam. Au dix-huitième siècle, « siècle éclairé et tolérant » comme le voulait son slogan, seule la raison d’Etat commandait la guerre. Bien entendu, les guerres du passé, comme celles qui viendront après le dix-huitième siècle, étaient et seront aussi commandés principalement par la raison d’Etat : mais les idéologies (après le dix-huitième siècle, ce seront les idéologies du progrès – libéralisme, socialisme – et de la nation) en furent et en seront la force motrice, le cri de ralliement. Tel était très peu le cas au dix-huitième siècle, où les problèmes de la raison d’Etat – sécurité des frontières, unité du territoire, rivalité économique – en étaient venus à transcender même l’idéologie monarchique encore assez importante au dix-septième siècle (Louis XIV, par exemple, pensait aussi à sa « gloire » et au « nom français », au-delà des calculs rationnels, et cela était sérieux). Les « cabinets » devinrent les centres de décision, lieux secrets, froids et angoissés par des stratégies serrées, qui se protégeaient des influences perturbantes des prédicateurs religieux ou des écrivains idéalistes. On n’y parlait plus de religion, et on n’y parlait pas encore de nation souveraine (le mot « nation » était simplement « la société politique », un peu au sens où il est aujourd’hui usité aux Etats-Unis). Ces lieux sentaient le besoin d’une action coordonnée au maximum et d’une information aussi régulière et homogène que possible. Les prises qu’offraient les sociétés politiques que les organisations d’Etat devaient mobiliser déterminaient les chances de chaque Etat dans la guerre perpétuelle, avant même qu’on puisse parler des situations géopolitiques particulières. Le grand problème était celui du financement de la guerre : comment organiser la fiscalité pour stabiliser le budget de l’Etat et renforcer le crédit du trésor royal, comment organiser l’armée. La grande particularité était le refus, ou pour mieux dire, l’indifférence aux sentiments moraux et culturels. Cette indifférence frappait un Rousseau par exemple, qui écrivait (dans des Ecrits sur l’abbé de Saint-Pierre – l’abbé de Saint-Pierre étant un intellectuel français qui avait essayé de comprendre les conditions d’une paix perpétuelle, au début du dix-huitième siècle) : « ... bien public... bonheur des sujets... gloire de la nation: mots à jamais proscrits du cabinet, et si lourdement employés dans les édits publics, qu’ils n’annoncent jamais que des ordres funestes, et que le peuple gémit d’avance quand ses maîtres lui parlent de leurs soins paternels. » Les « ordres funestes » sont souvent de nouveaux impôts… Rousseau avait bien décrit, dans un autre écrit intitulé L’état de guerre les conditions de la guerre perpétuelle des puissances du méridien politique eurasiatique : « J’appelle (...) guerre de Puissance à Puissance l’effet d’une disposition mutuelle, constante et manifestée de détruire l’Etat ennemi ou de l’affaiblir au moins par tous les moyens qu’on le peut. Cette disposition réduite en acte est la guerre proprement dite; tant qu’elle reste sans effet, elle n’est que l’état de guerre.

» (...)selon moi l’état de guerre est naturel entre les Puissances... ». Pour Rousseau, les « puissances » (nom qu’on donnait aux principaux Etats dynastiques du temps, en gros : la France, l’Angleterre, la Prusse, l’Autriche, l’Empire ottoman, la Russie et, de façon intermittente, l’Espagne) devaient se comporter de la sorte parce qu’elles considéraient que le bonheur politique résidait dans la grandeur matérielle (illusion funeste menant à un expansionnisme fatalement destructeur) et non dans la consistance morale. La recherche de la grandeur matérielle ne pouvait mener qu’à des collisions perpétuelles, mais les puissances reposant sur l’unité artificielle de l’administration d’Etat, ne pouvaient pas avoir de direction morale et étaient condamnées à l’état de guerre.

C’est de cet état de guerre du dix-huitième siècle, dans le méridien politique eurasiatique, qu’est sorti l’Etat-nation moderne.

Comment ?

La suite au prochain numéro…







Tuesday, September 23, 2008

parenthèse

Modernité: la réflexion la plus passionnante et passionnée, la plus érudite aussi (encore que quelque peu eurocentrée dans ses références, sinon dans sa vision) que je connaisse à ce sujet, à ce jour, est celle de Marshall Berman: All That is Solid Melts into Air: the Experience of Modernity (publiée en 1982) --- dont je ne pense pas qu'il existe une traduction française. Pour moi, je n'utilise jamais ce mot de "modernité" à la légère, ou du moins pas de sorte à signifier quelque chose de nécessairement positif. Le livre de Berman pétrit cette idée, et la dérobe aux schémas.

Sunday, September 21, 2008

ETAT: Sect. 1, début...

Etat et modernité : Mes plus anciens souvenirs de « l’Etat » remontent au collège. Je ne sais quand exactement j’ai, pour la première fois, entendu user de ce mot, et je ne suis pas sûr de ce que j’ai pu penser qu’il signifiait alors. Il est probable que je l’ai entendu par rapport à Seyni Kountché, qu’on appelait, dans les bulletins d’information radio, « le chef de l’Etat ». Ensuite, je me rappelle qu’il y avait toujours une catégorie d’élèves qui, lorsque les « camarades » voulaient vandaliser les équipements des salles de classe, au cours des mouvements de grève, sous prétexte qu’ils appartenaient à « l’Etat », autant dire « à personne », rétorquaient : « Ah ! Non, l’Etat c’est nous ». Je faisais partie de ces empêcheurs de vandaliser en rond, et bien que je disais cette phrase, à y bien réfléchir, j’en ignorais le sens précis. L’Etat était-ce « personne », ou « nous » ? Comment étais-je sûr que c’était « nous » ? L’assertion, en tout cas, ne convainquait pas les vandales, qui continuaient leurs déprédations, certains que ces objets seraient tôt ou tard remplacés et nullement avec de l’argent qui sortirait de leur poche à eux. D’ailleurs, les impressions que j’avais de ce mot « Etat » étaient plutôt contradictoires. D’une part, c’était « le chef de l’Etat », un monsieur en uniforme, des drapeaux, les immeubles des ministères, « les pouvoirs publics », toutes choses assez lointaines et indifférentes – et de l’autre, c’était au contraire, moi, nous. Quel rapport ?
Plus tard, j’eus le bac, il fallut faire des paperasses pour voyager, obtenir une carte d’identité, un passeport, produire un certificat de nationalité. Ces mots « identité », « nationalité », étaient liés au mot « Niger », et les papiers qui leur donnaient une certaine matérialité, une certaine effectivité, étaient fabriqués ou produits par ces fameux ministères et pouvoirs publics. Là gisait sans doute, songeai-je, le lien entre les deux idées de l’Etat : les bâtiments des ministères, et « nous ». Mais ce rapport ne me satisfaisait guère : pourquoi donc fallait-il que je sois de « nationalité nigérienne » et en quoi étais-je « identique » aux autres individus qui étaient également de « nationalité nigérienne » ? Il y avait là, me semblait-il, quelque chose de vaguement arbitraire. L’idée s’installa en moi, quelque part, que toutes ces choses relevaient d’une sorte d’arbitraire historique. Bien sûr, je pouvais me contenter de l’explication selon laquelle le Niger était, après tout, une création « artificielle » de la France, et ne pouvait être qu’une sorte de paravent ridicule dissimulant des réalités plus naturelles, les ethnies précoloniales. Du reste il y aurait du vrai dans cette sorte d’explication, très appréciée, en général, des gens qui réfléchissent sur la politique africaine. Mais il se trouve qu’à l’époque j’étais féru d’histoire et lisais tout ce qui me tombait sous la main et qui pouvait m’en apprendre un peu plus sur les passé des pays et des civilisations (un peu comme mes amis moins bizarres collectionnaient le magazine Onze, je collectionnais le magazine Historia – et regrettais que le magazine Afrique Histoire ait eu une existence si brève). La France elle-même ne me paraissait pas si « naturelle ». Je voyais qu’au fil du temps, elle s’étalait fort loin ou devenait squelettique. J’apprenais que vers 1750, on ne comprenait pas toujours, à Lyon, le parler d’un habitant du pays de Valois. Je reviendrais sur cette histoire dans une section prochaine de cette entrée, mais en tout cas, vers 1990, j’avais écrit un petit texte qui postulait la théorie suivante : ce qui est naturel, c’est le pays, et non la nation. Le pays est une sorte de cadre géographique qui produit des contraintes et des ressources spécifiques, et amène les habitants humains à imaginer des solutions, des rapports, des conduites qui les lient les uns aux autres, à travers de longues traditions. Le pays produit une certaine humanité, une certaine culture humaine, presque exactement comme il produit une certaine animalité. Avant de voyager aux Etats-Unis, je ne pense pas avoir jamais vu d’écureuils en dehors de photographies dans des magazines, et en dehors de Tic et Tac, personnages de Walt Disney. Je m’étais fait à l’idée que l’écureuil était un animal à fourrure ou du moins à pelisse longue et fourrée. Je fus surpris de le découvrir en Louisiane et au Kansas tout ingambe, vêtu de pelisse courte, et, pour ainsi dire, ne méritant pas le nom d’écureuil. Comme je disais ma surprise, on m’informa que si j’allais plus au nord, vers le Canada, je trouverais effectivement des écureuils fourrés. Il en est d’eux comme des moutons, ras en Afrique, laineux en Europe. Dans ce cas, bien entendu, c’est une action directe du climat sur le potentiel génétique de l’animal qui produit ces résultats, mais par analogie, je pensai que les sociétés humaines ont toutes une sorte de « potentiel culturel » que les possibilités du pays mettent à jour d’une certaine manière bien spécifique. Ou plus précisément, les pays sont la rencontre entre un certain potentiel culturel et un certain nombre de contraintes et de ressources naturelles immédiates. La rencontre, certes, ne se limite pas à cela, mais elle se fonda d’abord sur cela, et tout ce qui vient du dehors agit de surcroît. Par le passé, cette action du dehors était généralement lente et imperceptible, mais peut-être aussi, par la même raison, plus profonde. C’était une sorte d’action par imprégnation, rendue nécessaire par les faibles moyens matériels des temps où tout reposait sur le travail animal (et par « animal », j’entends aussi le travail physique des hommes et des femmes) et l’énergie tirée des « quatre éléments » les plus sensibles (l’air, le feu, l’eau, la terre). Elle ne transformait pas le pays, elle s’y infusait.
Alors, par exemple, je pris le cas de la France, et me dis qu’elle est un composé de pays. Un pays particulier serait par exemple celui qui va de la Bretagne aux Flandres, et que les Français appellent « le Nord » : on voit qu’il déborde les frontières de la France. Un autre pays serait celui que les Français appellent « le Centre » et qui va jusqu’en Bavière. Un troisième pays enfin serait « le Midi », qui va jusqu’en Vénétie. (Je mets en appendice un brouillon de relecture de l’histoire de l’Europe à la lumière de cette théorie telle que je l’ai ensuite reformulée pour présenter les pays comme produits, en quelque sorte, par la mer, du moins dans le cas de l’Europe, vue comme une péninsule de l’Asie, ne méritant pas vraiment le nom de continent, en tout cas pas plus que l’Inde). Je pris le cas de la France, et j’essayais mentalement d’envisager un scénario dans lequel, disons, les Capétiens n’auraient pas réussi à consolider leur pouvoir sur l’Etat royal, vers le X° ou XI° siècle. Au lieu de cela, une dynastie basée à Ais-de-Provença (dans ce scénario, le français d’oil ne s’est pas imposé, et le français d’oc, ou plutôt l’occitan, s’est développé : il n’y a donc pas d’Aix-en-Provence) s’est développée suivant une dynamique méditerranéenne. Elle contrôle un territoire qui s’étend de la Guyenne à la Lombardie. Du côté nord, elle est frontalière d’un autre Etat dont la capitale se trouve à Dijon. Ces scénarii ont tous été des possibilités, même après l’émiettement mérovingien de la France actuelle. Il y a eu un royaume de Provence à l’époque carolingienne, et plusieurs tentatives de fonder un Etat bourguignon, la dernière échouant seulement dans la neige de Morat et sur les pavés de Nancy, avec la mort de Charles le Téméraire en 1477 – événement encore déploré par certains (voir ici). Jusqu’alors, la France était une hypothèse un peu mieux fondée que les autres : elle n’est vraiment confirmée qu’après avoir absorbé la Bretagne, à la fin du XV° siècle. Elle couvre alors au moins trois pays différent, qu’elle fusionne par imprégnation de la théorie ou de l’idéologie française (produite essentiellement par la monarchie) sur trois siècles environ (l’Ancien régime : XVI-XVIII° siècles), jusqu’à créer ce pays d’un autre genre – au fond, du même genre que le Niger, i.e., pas plus naturel – qu’on appelle France.
Mais pour moi, à l’époque, le pays par excellence, c’était le Sahel. Il a cette unité de rencontre, qui triomphe de potentiels culturels différents : on parle, dans le Sahel, plusieurs langues, on a construit plusieurs organisations politiques différentes, on y pratique plusieurs types d’éducation, de « culture de l’être humain » assez clairement distincts les uns des autres pour y créer des sentiments d’étrangeté, ou, comme dirait Renaud Camus, d’étrangereté. Néanmoins, il y a un pays sahélien clairement reconnaissable dans ses paysages et dans ses limites, et partout, il a tendu à créer des uniformités humaines qui font que les Sahéliens participent en bloc à une conscience du monde qui les distingue des non-sahéliens. Même la dynamique politique des plus puissantes dynasties gouvernementales du Sahel fut d’englober tout ce pays, sans s’aventurer cependant dans les forêts du Sud ou les sables du Nord. Ceux qui s’approchèrent le plus de la réalisation d’un tel programme furent les Sonni et les Askia de l’Empire Songhay.
A côté de cela, qu’est donc que cette « nationalité nigérienne » ?
Une réponse qui s’imposa à moi, avec une évidence mystérieuse, c’est que oui, certes, le pays a quelque chose de foncier (sinon de naturel,
adjectif qu’il vaut mieux éviter pour le moment), mais la nationalité est moderne.
Moderne ? Qu’est cela ?

(La suite au prochain numéro comme on dit. Mais comme ceci est le premier postage de ce blog, je vais dire rapidement un mot sur l’organi
sation de cette entreprise, en trois points : 1. Le ton est une dissolution de la division subjectif /objectif : je ne prétends pas parler au nom d’un « je » universel, qui dirait des vérités générales, "objectives". Comme on l’a vu, j’interprète ce que je pense, justement parce que ce que je pense de façon apparemment spontanée me vient en fait d’une sorte de pensée collective, d’information fédérale, que nous prenons souvent pour nos propres idées et impressions, mais qui, en fait, nous étonneraient pour peu que nous y prenions garde. C’est la méthode de la « perscrutation » que j’ai une fois essayé d’analyser (dans un ancien blog notamment) à partir des Essais de Montaigne. 2. Le blog fonctionne comme une sorte d’encyclopédie personnelle : chaque entrée est divisée en plusieurs sections qui reflètent l’expérience que j’ai eue de l’entrée en question. Chaque entrée, chaque section, peut donc être très longue ou très brève. Certaines entrées n’auront qu’une section, d’autres en auront plusieurs. 3. Enfin, il s’agit ici d’un « thought in progress ». Peut-être le but est-il de faire des écrits d’assez bonne qualité pour un jour mériter d’être rassemblés dans un livre à la manière de celui de Voltaire : mais le format du blog me permettra de faire des révisions et des amendements, et d’y aller en songeant qu’aucune affirmation faite sur le moment n’est encore arrêtée…)

Appendice (extrait du chantier d'un essai sur l'histoire de l'Europe, datant de 1999):

Montrer comment l’Europe s’est developpée suivant la géographie. C’est fascinant. Deux points seraient importants ici : le rapport à la mer, et la différence entre le nord et le sud. Le rapport à la mer est très important dans l’histoire européenne, comme dans celle des aires historiques comparables (la Chine et ses îles – ce que la géographie eurocentrée appelle l’Extrême-Orient – , c’est-à-dire l’ensemble Chine-Japon-Coree-Indochine et au-delà, le sud de ce nord, l’Indonésie et les Philippines – d’une part – et d’autre part le monde arabo-musulman.) Le cas de l’Europe est intéressant en ce qu’il est très facile de voir combien la mer définit les régions de cet espace culturel mouvant et vague que nous appelons de ce nom. Les définitions terrestres sont certes pertinentes : l’Europe occidentale, la Mitteleuropa et l’Europe orientale, ou encore l’Europe germanique, l’Europe slave, l’Europe latine, etc. Mais je pense que les définitions maritimes ont quelque chose de plus adéquat. De ce point de vue, en tout cas, voici les régions maritimes de l’Europe :

Cinq mers, la Méditerranée, la mer du Nord, la mer Baltique, la mer Océane (l’Atlantique) et la mer Noire. Chacune de ces mers enveloppe un fragment particulier de la réalité européenne. Comme l’Arabie, l’Inde, l’Indochine, et même en somme l’Afrique, l’Europe est une péninsule – l’Afrique vivant cependant dans l’immensité, dans une réalité par conséquent plus continentale que péninsulaire. L’Europe est plus péninsulaire que l’Afrique, et les mers y sont plus importantes. L’Afrique est la terre du désert, de la savane, de la forêt. Mais l’Europe est bien plutôt la terre de la Méditerranée, de la mer du Nord, etc. Sauf à faire des distinctions étroites qu’on peut laisser, au moins en ce qui regarde cette thèse particulière, aux géographes et aux météorologues, l’Europe n’a qu’un seul climat, le climat tempéré. Il y a seulement clairement une Europe froide, celles des mers du Nord et Baltique et une Europe chaude, celle des mers de la Méditerranée. Il y a une Europe ouverte, celle de l’Atlantique, et une Europe fermée, celle de la mer Noire. Comme les mers, les lignes de partages de la péninsule européenne sont à la fois fluides et nettes.

Géographie : mer du Nord : l’Angleterre, la Normandie, les Flandres, la Hollande, le Danemark, la Norvège, la Suède. Mer Baltique : la Poméranie, la Mazurie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Finlande. Atlantique : Grande-Bretagne, Bretagne, Galice, Castille, Portugal. Méditerranée : Andalousie, Catalogne, Provence, Italie, Grèce. Mer Noire : Roumanie, Bulgarie, Russie, Turquie.

Quelques groupes nationaux, mis ici en gras, dominent les réalités des mers européennes. La réalité de la péninsule elle-même est dominée par l’ancien empire carolingien, la France et l’Allemagne, qui sont des patchworks culturels : ces deux entités devant être séparées à cause des rôles différents que les cultures du continent leur imposaient. Ce sont, ce me semble, des pôles de tension. La France est requise par le nord et par le sud, par l’Angleterre, l’Atlantique – et par la Méditerranée, l’Afrique. Son grand philosophe humaniste est bien Rousseau, méridiophile aux opinions ambivalentes sur le nord et sur la mer. L’Allemagne est encore plus complexe. Au centre du continent, elle est une croix : l’est et l’ouest, le nord et le sud. L’axe français était oblique, celui de l’Allemagne est cruciforme, sans doute plus douloureux. Hegel (est-ouest) est fasciné par l’est mais situe le per fectum à l’ouest. Nietzsche conspue le nord au nom du sud. Les deux entités sont très métissées, mais contrairement aux apparences de l’histoire, l’Allemagne plus que la France. L’Allemagne polarise toute l’Europe centrale, la Mitteleuropa (c’est cela le patchwork). Sa frange sud – l’Autriche – lui échappe presque. A l’élément central alémanique (Rhénans, Saxons, Bavarois, etc.) se sont joints de longue date des éléments slaves, celtes, latins, sémites, les Alémaniques dominant ce terreau de cultures par leur langue et leur influence politique supérieure – mais le souvenir proche du nazisme (révélateur d’ailleurs de peurs qui ne pouvaient habiter a ce degré un Anglais) ne doit pas oblitérer ces anciennes réalités allemandes, le Saint Empire romain germanique et sa séquelle austro-hongroise. L’Allemagne a cependant toujours échoué à cimenter sa fusion, contrairement à la France (absence d’Etat central, insertion dans la Mitteleuropa). Le nazisme peut être interprété comme une tentative morbide de mettre fin à cette situation en rejetant tout ce qui est non alémanique. Autre groupe dominant : les Russes. La mer Noire : une fausse mer (définir une mer).



Monday, September 15, 2008

Les Patrons du Blog



Djehouti, c’est le véritable nom de la divinité égyptienne que les Grecs appellent Thot, nom qui lui est resté dans la culture moderne. C’est le seigneur du temps et du langage, qui créa le monde par le Verbe (récit d’un texte d’Edfou). C’est le seigneur des scribes. Bref, le patron nécessaire d’un blog sur la politique (entendue dans son sens large d’organisation de la vie humaine collective à travers les temps). L’autre patron de ce blog est Voltaire, dont on peut dire que la masse des oeuvres courtes qui ne sont pas des contes sont des postages de blog. Voltaire etait un blogueur, indéniablement: le premier et le meilleur. Il ne lui manquait qu’Internet. La bannière de ce blog s'inspire, bien entendu, de son Dictionnaire philosophique portatif.

Parler de politique: c’est qu’on peut tout fourrer là-dedans. On verra qu’il ne s’agit pas que d’un pretexte. Mais il ne s’agira pas non plus, étroitement, de science politique.